Le rap français véhicule son lot de clichés récurrents et immédiatement identifiables, qu'il a le plus souvent emprunté au rap américain. On y retrouve grosso modo toujours les mêmes lieux communs, qui touchent aussi bien les origines sociales des chanteurs, la banlieue, les gangsters ou les femmes réduites assez souvent au rôle de putes. Pour autant, toutes les formes du rap ne se réduisent pas à ces caricatures reprises par trop de musiciens sans originalité, qui se contentent de répéter ce qui a été fait par d'autres. Il ne sera pas question ici du rap poétique ou mélodique d'Oxmo Puccino ou Mc Solaar, ni du rap politiquement engagé d'Afrika Bambaataa ou Grandmaster Flash. Mais plutôt du Gangsta rap, qui a hélas fini par s'imposer auprès du grand public comme la référence unique en matière de rap, aussi bien en France qu'aux Etats-Unis.
Pour pointer du doigt cette logique routinière et caricaturale du rap de Bad Boys adepte des Guns et des Biatches, un petit classement critique et irrévérencieux s'imposait donc !
1. "Je suis né dans la rue"
Source : wallpapercave.com
En 1969, Johnny Hallyday tentait de se donner le genre voyou en chantant ses soi-disant origines populaire. Deux décennies plus tard, les rappeurs reprennent la méthode en affirmant qu'il n'y a de légitimité dans le rap que pour ceux qui sont nés dans la misère et l'exploitation. Quitte à s'inventer des origines imaginaires : c'est la légende du petit gars de la zone que ses parents battaient, qui devaient vendre du shit dans la rue pour s'en sortir, et qui a finalement sauvé sa vie grâce à la musique. Pourtant tous les Bad Boys du rap n'ont pas forcément eu l'enfance malheureuse qu'ils s'attribuent : ainsi Rockin' Squat (alias Mathias Cassel), du groupe Assassin, est le fils de l'acteur Jean-Pierre Cassel, et Booba a vécu dans des villes tranquilles des Hauts-de-Seine (Boulogne, Meudon, Sèvres).
2. "Je suis un gangster"
Source : bomboclap.wordpress.com
Dans le même registre, la figure du gangster est au centre de l'imaginaire de ce qu'on appelé le Gangsta Rap, rap brutal aux paroles dures, très en vogue dans les banlieues difficiles des Etats-Unis, où règne la loi des gangs. Les Français ont repris à leur compte toute cette imagerie, à laquelle ils ont ajouté la référence incontournable au personnage de Tony Montana, tiré du film Scarface de Brian de Palma (sorti en 1983). On y voit le parcours d'un immigré latino d'origine cubaine (joué par Al Pacino) mener une ascension sociale fulgurante grâce au commerce de la cocaïne. Il est violent, teigneux, et rejette la voie de la légalité, synonyme pour lui de médiocrité et de jobs dégradants, dans cette société américaine très marquée par les inégalités sociales et raciales.
Les rappeurs français déclassés d'origine immigrée se sont immédiatement reconnus dans ce personnage qui semble n'avoir pas d'autre issue dans la vie que de s'imposer par des moyens violents, face à une société qui le rejette. Les rappeurs répètent depuis interminablement ce même cliché du rappeur gangster, même lorsqu'ils sont en réalité des Business men avertis, qui savent faire fructifier leur légende en vendant des disques (Booba ou Kool Shen en seraient une illustration).
3. "Les Keufs, faut les fumer !"
Source : surlering.com
La haine de la police est aussi un cliché récurent dans le rap, même si Brassens ou Renaud n'ont pas attendu les rappeurs pour brocarder les forces de l'ordre. La nouveauté avec le rap, c'est la violence verbale qui peut émaner de certains chanteurs.
A l'instar du rappeur Ice-T et de son groupe de Metal fusion Body Count qui chantaient en 1992 Cop Killer (le titre fut retiré de la vente suite à la plainte de la police), les rappeurs français du groupe Ministère A.M.E.R. criaient en 1995 leur haine de la police dans leur chanson Sacrifice de poulets. Leur titre fait l'objet d'une plainte de la part du Ministère de l'Intérieur, et les musiciens sont condamnés à payer une amende de 250 000 Francs. NTM connait des déboires similaires avec son titre Police. Et ils ne sont pas les seuls...
4. "La banlieue c'est pas rose, la banlieue c'est morose !"
Source : lamodeaucarre.com
En 1991, les Inconnus se moquaient déjà, dans leur sketch C'est ton destin de ce cliché du rap consistant à faire le récit peu reluisant de la jeunesse habitant les banlieues défavorisées. Le fait est que la plupart des rappeurs peuvent à juste titre se vanter de parler de ce qu'ils connaissent en la matière, même si certains s'inventent une vie de zonards qu'ils n'ont pas connue (voir le point n°1 ci-dessus). Grandmaster Flash, raconte, dans The Message, l'un des premiers succès rap de l'histoire de l'industrie musicale, la vie sordide des banlieues new-yorkaises.
NTM en fait de même avec la banlieue nord de Paris dans Seine Saint Denis Style. Pour autant, on a fini par se lasser d'entendre raconter toujours la même histoire par des rappeurs qui semblent ne pas avoir fait de progrès depuis que NTM a imposé ses marques dans le rap français à la fin des années 80. On peut donc à juste titre parler de cliché.
5. Chaines en or, casquette de travers et pantalon taille basse
Source : telegraph.co.uk
L'accoutrement vestimentaire semble faire également partie des signes indispensables de reconnaissance du rappeur, au même titre que la panoplie du cow boy ou celle du pompier. Le rappeur semble avoir une attirance prononcée pour l'or et le clinquant. On le voit donc très souvent avec un ou plusieurs colliers dorés très voyants autour du cou, ajoutant même parfois un appareil dentaire tout en or (par exemple Joey Starr). La casquette de base-ball ou de basket sera portée le plus souvent de travers, et même parfois carrément à l'envers.
Le pantalon doit être très ample, de type "taille basse", tombant au bas des fesses. Cette coutume est appelée Sagging ("affaissement") aux Etats-Unis, et serait issue des prisons américaines, où les ceintures sont interdites en raison des risques de suicide ou d'usage en tant qu'arme. Le pantalon taille basse et baggy est ensuite rendu célèbre par des rappeurs américains dans les années 1990, qui s'identifient à la figure du déclassé et du délinquant marginal (voir point n°1 ci-dessus).
Les tatouages sont aussi très présents dans le rap, et font partie des modes d'identification et de reconnaissance de la part de la "tribu" des autres rappeurs.
6. "Je ferai tout pour le fric !"
Source : twitter.com
En 1991, le groupe parodique Les VRP se moquait déjà, dans leur chanson Tout pour le fric, des motivations bassement financières des chanteurs de rap, qui profitent de la légende du méchant gangster pour écouler des disques auprès du grand public. Dans les années 90, des pseudo rappeurs tels que Vanilla Ice ou Mc Hammer avaient bien compris l'intérêt de la chose, et faisaient un rap vendeur auprès du public américain. Deux décennies plus tard, la méthode n'a pas tellement changé, et les rappeurs continuent de jouer les méchants et de parler des lascars de la banlieue (même si eux-mêmes n'y habitent plus), non pas pour défendre un message revendicatif ou politique, mais parce qu'ils savent que les récits mêlant misère sociale et gangstérisme fascinent toujours autant le grand public, y compris les fils de bourgeois. La morale des rappeurs du Gangsta est trop individualiste pour véhiculer une quelconque revendication politique égalitariste.
7. "Les meufs, c'est toutes des Biatches !"
Source : worldstarhiphop.com
Dans le rap, les femmes jouent le plus souvent un rôle purement décoratif d'objet sexuel. S'il y a bien quelques chanteuses (très minoritaires) dans ce milieu, la plupart des clips de rap nous montrent plutôt des bimbos en maillot de bain, dansant autour d'une piscine, sur un rap chanté par un gros tatoué portant un manteau de fourrure. On peut donc dire que les rappeurs véhiculent très majoritairement des clichés sexistes faisant des femmes des êtres soumis aux fantasmes sexuels de gros machos libidineux. Rien de quoi séduire le MLF (Mouvement de Libération des Femmes) !
8. "Les States, c'est notre mère patrie !"
Source : highsnobiety.com
L'horizon culturel des rappeurs français semble se cantonner quasi exclusivement au pays de l'Oncle Sam, dans lequel ils se reconnaissent davantage que dans la culture et la société françaises. Le sentiment dominant chez les rappeurs est celui de faire partie d'une minorité ethnique et/ou sociale qui n'a pas droit au chapitre dans la société française, laquelle les rejette et leur interdit toute intégration et toute ascension sociale.
Mais pourquoi diable se tourner vers un pays aussi inégalitaire que les Etats-Unis pour chercher l'espoir d'un salut ? D'abord parce que le rap américain cristallise, sous une forme plus exagérée que chez nous, la représentation d'un groupe social extrêmement ségrégué, dans lequel nos jeunes de banlieue trouvent une identification fantasmée. Ensuite parce que les Etats-Unis, tout en étant un pays très inégalitaire, est aussi celui où certaines personnes issues de ces minorités ethniques peuvent gagner beaucoup d'argent grâce au sport ou à la musique. Raison de plus pour se rêver un destin de Self made man du rap, même si les fortunes du rap français sont moins grandioses que celles du rap américain !
9. SOS Bescherelle !
Source : grazia.fr
Mais ce n'est pas le tout d'avoir choisi le rap pour réussir dans la vie : encore faut-il savoir manier la langue pour la faire rimer et bouger, et si possible sans fautes d'orthographe et de grammaire ! Mais en la matière, les rappeurs n'ont pas souvent eu le temps ou l'envie d'approfondir les règles du français. Aussi font-ils des fautes dignes d'un élève d'école primaire, comme l'a montré malicieusement le Comte de Bouderbala dans son sketch Les rappeurs. "On sait c'est qui qui domine...", "Ce serait mentir si je dirais...", "Le plus méchant des animals [sic]", "Mon public sont des gens intelligents" : autant de formulations fautives qu'on trouve pour de vrai dans les chansons des groupes 113, Sniper, Fonky Family et du chanteur Sefyu !
Par conséquent, on ne saurait trop recommander aux rappeurs en herbe qui ambitionnent de devenir les stars de la chanson de demain de réviser intégralement le Bescherelle, et d'en avoir toujours un exemplaire à portée de main lorsqu'ils écrivent une chanson !
10. Le sampling dans le rap, ou l'art du pillage musical
Source : youtube.com
Le sampling (échantillonnage, en français) est cette technique musicale consistant à prélever un extrait sur un morceau de musique déjà existant, pour l'utiliser ensuite sur une autre composition musicale. Ça devient un art lorsque cette technique est utilisée par un DJ de talent comme DJ Shadow ou par les Daft Punk, qui savent juxtaposer de nombreux samplings issus de plusieurs musiques méconnues, et les enrichir considérablement par le bidouillage électronique. Mais lorsqu'il s'agit simplement de piquer la création d'un vrai musicien et de profiter du succès qu'a rencontré son travail par le passé, afin d'accéder le plus facilement possible aux sommets des charts, on peut à juste titre parler de pillage.
P.M. Dawn qui pille le groupe Spandau Ballet en 1991 dans Set Adrift on Memory Bliss ; Puff Daddy qui vole le riff de Every Breath You Take de Police dans I'll Be Missing You, ou 2 Live Crew qui en fait autant surThe Fuck Shop avec le riff de Ain't Talking 'Bout Love de Van Halen : autant de pompages qui dénotent surtout un manque de créativité, puisque ces rappeurs se contentent de réutiliser les succès passés d'autres musiciens pour en faire un nouveau en leur nom propre, sans apporter grand chose.
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